Théorie des inhibiteurs
Le but que nous nous fixons ici est de montrer le lien qui peut exister entre
la théorie des inhibiteurs et les structures spiralées
fibonaciques.
Dans le modèle généralement retenu, les primordia se
forment, à intervalles réguliers, sur un même cercle,
puis s'éloignent du centre en ligne droite, à vitesse
constante ou non. On peut éventuellement choisir une vitesse
inversement proportionnelle à la distance, pour conserver une
densité globalement constante.
Le point d'apparition de chaque nouveau primordium, sur le cercle, doit se
placer "le plus loin possible" des primordia voisins. Cette
expression peut être interprétée de diverses façons
: par exemple, on considère que le nouveau primordium doit être
à la distance maximale des deux primordia les plus proches ;
ou bien on imagine une substance inhibitrice produite par les primordia,
se répandant, par diffusion, avec une densité inversement
proportionnelle à la distance, par exemple (mais la loi de diffusion
peut être librement modifiée), et on cherche sur le cercle
le point qui minimise la densité (ou le gradient).
Si nous programmons une animation selon ces critères, que va-t-il se
passer ? On va obtenir une divergence chaotique, ce qui veut dire que
l'angle entre deux primordia successifs va varier de manière
imprévisible, sans se stabiliser : la "divergence"
(au sens des botanistes) n'est pas "convergente" (au sens
des mathématiciens). Que faut-il faire pour l'obliger à
converger ?
L'idée est de modifier le modèle, de manière à
le rendre évolutif : dans un premier temps, chaque nouveau primordium
subira l'influence du primordium précédent, et ignorera
tous les autres ; puis, au bout d'un certain temps (à préciser),
les nouveaux primordia se positionneront en fonction des deux précédents,
puis des trois précédents, etc. A chaque étape
correspondent des positions d'équilibre et des butoirs.
Nous appelons position d'équilibre une structure spiralée
à divergence constante, dans laquelle chaque primordium trouve,
à sa naissance, l'espace le plus grand possible, et se positionne
le plus loin possible de ses plus proches voisins.
Nous appelons butoir une valeur de la divergence pour laquelle chaque
nouveau primordium apparaît exactement en face d'un autre primordium
(parmi ceux dont l'influence est prise en compte) : c'est donc une valeur
interdite.
Voici une première approche du problème, de niveau élémentaire
; il est conseillé de prendre un papier et un crayon pour visualiser
les différentes situations.
Etape 1 : chaque nouveau primordium se positionne le plus loin possible du
précédent, et ignore tous les autres. Il y a une position
d'équilibre évidente, qui correspond à une divergence
égale à 1/2. Il y a un seul butoir : c'est 0 (ou 1, ce
qui revient au même).
Etape 2 : chaque nouveau primordium est influencé par les deux précédents.
Il y a deux positions d'équilibre : div = 1/3 et 2/3, et deux
butoirs : 0 et 1/2. (Nous raisonnons comme si le nouveau primordium
subissait une influence égale de la part des deux précédents
; si leurs influences sont un peu différentes, l'équilibre
est légèrement modifié.)
Etape 3 : l'influence est étendue aux trois primordia précédents.
Les positions d'équilibre sont : div = 1/4 et 3/4. Les butoirs
sont : 1/3 et 2/3 (en plus de 0 et 1/2, qui conservent leur rôle
de butoirs).
Etape 4 : l'influence est étendue à quatre primordia. Les positions
d'équilibre sont : div = 1/5, 2/5, 3/5, et 4/5. Les nouveaux
butoirs sont : 1/4 et 3/4.
Etape 5 : l'influence est étendue à cinq primordia. Les positions
d'équilibre sont : div = 1/6 et 5/6. Les nouveaux butoirs sont
: 1/5, 2/5, 3/5, et 4/5.
Etape 6 : l'influence est étendue à six primordia. Les positions
d'équilibre sont : div = 1/7, 2/7, 3/7, 4/7, 5/7 et 6/7. Les
nouveaux butoirs sont : 1/6 et 5/6.
Etape 7 : l'influence est étendue à sept primordia. Les positions
d'équilibre sont : div = 1/8, 3/8, 5/8 et 7/8. Les nouveaux butoirs
sont : 1/7, 2/7, 3/7, 4/7, 5/7 et 6/7.
Etape 8 : l'influence est étendue à huit primordia. Les positions
d'équilibre sont : div = 1/9, 2/9, 4/9, 5/9, 7/9 et 8/9. Les
nouveaux butoirs sont : 1/8, 3/8, 5/8 et 7/8.
Etape n : l'influence est étendue à n primordia. Les positions
d'équilibre sont de la forme : i/(n+1), où i est inférieur
à n+1 et premier avec n+1. (Le nombre de positions d'équilibre
est donc donné par phi(n+1), où phi est la fonction d'Euler.)
Les positions d'équilibre de l'étape précédente
deviennent des butoirs.
Etudions l'enchaînement de ces étapes :
On commence par l'étape 1, avec une divergence de l'ordre de 1/2. Le
butoir est 0.
Puis on passe à l'étape 2, et la divergence se modifie, pour
se rapprocher soit de 1/3, soit de 2/3. Ces deux options sont identiques,
au sens près ; nous choisirons la première. A partir de
maintenant, si la divergence varie de manière continue (sans
faire de saut), elle sera définitivement bloquée entre
les butoirs 0 et 1/2. Elle décroît de 1/2 vers 1/3.
Etape 3 : 1/3 devient butoir ; la divergence est définitivement
bloquée entre 1/3 et 1/2 (sauf en cas de saut). Les positions
d'équilibre (1/4 ou 3/4) sont inaccessibles, car situées
hors de l'intervalle ]1/3, 1/2[ : ce n'est pas un problème.
Etape 4 : parmi les 4 positions d'équilibre théoriquement
possibles (voir plus haut), une seule est accessible (car située
entre 1/3 et 1/2) : c'est 2/5.
Etape 5 : les nouveaux équilibres théoriques (1/6 et 5/6)
sont inaccessibles ; 2/5 devient butoir. C'est ici que se pose la question
: au moment où 2/5 devient position d'équilibre puis butoir,
la divergence, qui était en train de decroître de 1/2 vers
1/3, est-elle inférieure ou supérieure à 2/5 ?
Dans le premier cas, elle va être bloquée entre 1/3 et
2/5, et le réseau s'engage sur la branche de Fibonacci ; dans
le second cas, elle est bloquée entre 2/5 et 1/2, et la branche
de Fibonacci est définitivement perdue. Imaginons que la branche
de Fibonacci soit élue ; la divergence croît de 1/3 vers
2/5.
Etape 6 : les équilibres proposés (voir ci-dessus) sont hors
de l'intervalle ]1/3, 2/5[, donc inaccessibles.
Etape 7 : parmi les nouveaux équilibres proposés, un seul
est dans les limites : c'est 3/8.
Etape 8 : 3/8 devient butoir. Si, à ce moment, la divergence
se trouve dans l'intervalle ]1/3, 3/8[, elle y est piégée
définitivement, et la branche de Fibonacci est perdue ; si elle
est dans l'intervalle ]3/8, 2/5[, les spirales de Fibonacci prennent
forme ...
Supposons que la branche de Fibonacci soit chaque fois élue.
Il faudra attendre l'étape 12 pour voir apparaître un point
d'équilibre entre 3/8 et 2/5 : c'est 5/13 ; il deviendra butoir
à l'étape 13.
A l'étape 20, le point d'équilibre 8/21 apparaîtra
entre 3/8 et 5/13, et deviendra butoir à l'étape 21.
A l'étape F(n)-1 (où F représente la suite de Fibonacci),
le point d'équilibre F(n-2)/F(n) apparaîtra entre les butoirs
F(n-4)/F(n-2) et F(n-3)/F(n-1) ; il deviendra lui-même butoir
à l'étape F(n).
Dans la mise en place des spirales de Fibonacci, les moments critiques sont
les étapes n° 3, 5, 8, 13, 21,..., F(n), car c'est à
ce moment qu'apparaît un nouveau butoir entre les deux précédents,
ce qui restreint la marge de liberté de la divergence. Chaque
fois que s'établit une nouvelle coupure, il faut que la divergence
soit "du bon côté" ; pour que cette condition
soit réalisée, il faut laisser la divergence se rapprocher
suffisamment de son dernier point d'équilibre, avant de lui proposer
un nouveau point d'équilibre (entre les deux précédents).
Autrement dit, il faut lui laisser le temps de s'adapter à la
situation proposée à une étape donnée, avant
de passer à l'étape suivante.
Parmi les moments critiques, les plus critiques sont les premiers, car au
début les points d'équilibre successifs sont éloignés
les uns des autres, et il y a peu de temps pour aller de l'un à
l'autre (le temps étant mesuré en "étapes").
Par conséquent, si on désire programmer une animation,
basée sur le principe des inhibiteurs, donnant des spirales de
Fibonacci élaborées, il est conseillé de choisir
les paramètres de manière que le passage d'une étape
à l'autre (donc l'augmentation du nombre de primordia répulsifs)
soit très progressif, au moins au début. Par exemple,
imaginons qu'au début, l'influence du dernier primordium soit
maximale (égale à 1), et que celle des précédents
soit minimale (égale à 0). A l'étape 2, l'influence
de l'avant-dernier (pénultième) primordium décolle
; à l'étape 3, c'est l'influence de l'avant-avant-dernier
(antépénultième) qui décolle. A ce moment,
il est souhaitable que l'influence du pénultième soit
déjà élevée (proche de 1) et que celle de
l'antépénultième soit encore basse (proche de 0).
Rappelons que ce raisonnement ne fait intervenir aucun maillage : notre raisonnement
se limite au cercle où apparaissent les nouveaux primordia.
Mais si on se transporte plus loin du centre, la théorie des
contacts est bien placée pour continuer la mise en place des
spirales fibonaciques ; en effet, elle réalise de manière
idéale la condition ci-dessus : le passage de l'influence minimale
(pas de contact : 0) à l'influence maximale (contact établi
: 1) se fait de manière instantanée. Cependant, nous ne
parlons plus ici du même type d'influence : il s'agit de la répulsion
mécanique entre les primordia déjà formés,
et non de l'influence déterminant le point de naissance d'un
nouveau primordium. Ces problèmes bien différents sont
mathématiquement liés.
Mais rappelons qu' au voisinage du centre la théorie des contacts
soulève des problèmes purement géométriques,
qui ne peuvent pas être résolus sans hypothèses
complémentaires.
Le type de problématique que nous venons de survoler entre typiquement
dans le champ d'action de la suite de Farey.
Voici une approche plus générale, et plus théorique.
Supposons qu'on place successivement sur un cercle des points Pn
régulièrement espacés (donc avec une divergence
constante), en partant de l'origine O.
Le point Pn est le nième point de la suite
; il a été placé après n pas, qui ont permis
de faire n' tours environ (un peu plus ou un peu moins). Son abscisse
(modulo 1) est égale à n * div - n' (nombre positif ou
négatif, selon que Pn se trouve d'un côté
de O ou de l'autre). On peut convenir que les abscisses seront comprises
entre -1/2 et 1/2.
Observons, à chaque instant, les deux points les plus proches
de O : Pa (d'abscisse : b * div - b') d'un côté
("à gauche"), Pb (d'abscisse : b* div -
b') de l'autre ("à droite").
Le point Pa a été placé après
a pas, et a' tours ; on suppose qu'il vérifie : a * div - a'
< 0 ; donc div < a'/a.
Le point Pb a été placé après
b pas, et b' tours ; on suppose qu'il vérifie : b * div - b'
> 0 ; donc div > b'/b.
La divergence se situe donc dans l'intervalle ]b'/b, a'/a[ (entre deux
"butoirs").
Continuons à placer les points de la suite. Quel est celui qui
viendra se placer, le premier, entre Pa et Pb ?
On peut démontrer que c'est le point Pa+b,
d'abscisse (a+b) * div - (a'+b'), qui sera placé après
(a+b) pas, et (a'+b') tours.
Ce point Pa+b peut se trouver soit entre O et Pa,
soit entre O et Pb, ce qui va nous donner une indication
sur la divergence.
Dans le premier cas : (a+b) * div - (a'+b') < 0 donc div < (a'+b')/(a+b). Le point Pa+b
remplace Pa comme point le plus proche de O, à gauche.
La divergence se situe alors dans l'intervalle ]b'/b, (a'+b')/(a+b)[.
Dans le second cas : (a+b) * div - (a'+b') > 0 donc div > (a'+b')/(a+b). Le point Pa+b
remplace Pb comme point le plus proche de O, à droite. La divergence se situe alors dans l'intervalle ](a'+b')/(a+b), a'/a[.
On obtient ainsi des approximations de la divergence, sous forme d'intervalles
emboîtés, dont les bornes se déduisent selon la
suite de Farey (ou l'arbre de Stern-Brocot). Voir les pages consacrées
à ce sujet.
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