Inaccessible
asile de préhistoire
avec l'herbe pour dormir
et la source où l'on peut boire
« Un beau lac » dit le berger
mais il n'y vient presque plus
N'y vient que le poète
avec celle qu'il aime
Il lui dicte des poèmes
Un poème
cela semble difficile
à qui ne pèse guère
ses soifs et ses colères
à moins que le silence
ne prenne le visage
d'une montagne étrange
que le ciel ne dérange
Mais comment voulez-vous
muré de toutes parts
Tourne avec le soleil
la montagne éternelle
l'air dans les graminées
Nous sommes dépassés
par la terre qui sait
ne jamais s'éloigner
Je veux marquer ce jour
qui s'est juste posé
à la place où le temps
a cessé d'exister
Sur un arbre qui voudrait
s'élever jusqu'au plein ciel
monte comme on volerait
un écureuil irréel
Quand nous aurons quitté
la tranquille forêt
la nuit viendra nous remplacer
comblera tous les vides
ouvrira tous les arbres
deviendra un seul arbre
si lourd et si léger
que la mort et la vie
prendront son seul visage
Et sonne le dégel
bascule tout l'espace
il n'est de verticale
pas même pour les arbres
Mais pourquoi voulez-vous
que les pierres s'ennuient
que l'arbre sans désir
demeure suspendu
Mais parfois on dirait
que c'est même soleil
même épaisseur de nuit
de toi-même à toi-même
et l'on ne peut que dire
oui c'est bien cette route
et l'on ne peut que faire
ce geste qu'il fallait
Et la montagne seule
poursuivra sa route
la forêt d'ossements
la figure éternelle
il faut se soumettre aux saisons
Mais comment voulez-vous
ouvert de toutes parts
Ce que tu veux dire est si
mal détaché du soleil
des arbres en mouvement
de l'aérienne substance
de la roche où sont marqués
les signes d'enfantement
ce que tu veux dire est si
intérieur, si étranger
tellement avant, après
que tu sembles écrasé
par la terre et par le ciel
Laisse parler la montagne
à travers l'obscur feuillage
le corps mal distinct du noir
édifice primitif
signal au sommet du monde
humain minéral murmure
et la vague à travers toi
prend conscience du rêve
qui lui donne son visage
et de ses secrets rouages
Le monstre débonnaire
s'agenouille et me lèche
et je pose la main
sur son écorce fraîche
sa toison ruisselante
La porte dérobée
déplace l'horizon
apprivoise la nuit
saturée de source
Il suffit d'un pas
pour trouver le monde