Quoi, eh bien, il ne faut pas s'effrayer, c'est
seulement l'ogre, l'ogre très célèbre et
qui le deviendra encore plus, avec ses grosses jambes, ses gros
bras, ses grandes dents. Il a dévoré beaucoup de
gens, c'est vrai, mais rassurez-vous, il ne mange que ceux qui
le méritent. Les prétentieux. Et souvent il les
ressuscite, puis les remange, ou les laisse aller. C'est un ogre
juste. Il est friand de femmes, de jeunes femmes poétiques
dont il ne fait qu'une bouchée, mais celles-là aussi
il les ressuscite plusieurs fois pour les remanger. Ou les laisse
aller. Il se fait violence à chaque instant. D'ailleurs,
il arrive de temps en temps qu'il soit, lui, mangé. Constamment
il est mélancolique, à cause de ce qu'il doit sacrifier.
Il doit s'amputer, pour entrer dans nos vues. Quelquefois, il
en devient groggy, et déambule, l'air furieux, en récitant
des blasphèmes. Ou même, il tombe malade et reste
couché en travers du chemin, obstruant la circulation.
Comment pourrions-nous nous accommoder d'un tel personnage, chacun
le voit à sa manière, et les paroles qu'il prononce
sont entendues de tant de façons qu'il est impossible de
s'y reconnaître. Ou alors, il faudrait modifier nos lois,
et proclamer le surréel. Même s'il dit que la terre
est ronde, comprendre qu'elle est carrée. Mais ce n'est
pas ce qu'il dit qui est beau, c'est plutôt ce qu'il ne
dit pas, exactement ce que nous n'entendons pas. D'ailleurs comment
imaginer « un autre monde », alors qu'il n'en existe
qu'un : le sien ?