VI)   Réseau cylindrique

 

a)   Base mathématique

Par rapport au réseau plan, le réseau cylindrique impose une contrainte supplémentaire : lorsqu’on fait un tour, on revient au point de départ. Donc, si on déroule le cylindre pour représenter le réseau dans un plan (c’est ce que nous ferons), chaque nœud sera représenté par une infinité d’images alignées perpendiculairement à l’axe du cylindre, et séparées par des intervalles égaux au périmètre du cylindre.

Dans cette figure :   a=AD=BC = 5,   b=AB=DC = 3,   p=AC.

Notons i et j les vecteurs de base du réseau ; ils forment un angle α (angle de maille).

On a :    i . i = j . j = 1    et    i . j = Cos α    (produits scalaires).

Considérons deux points A et C, images d’un même nœud, tels que :

AC = p  (périmètre du cylindre) ;   nous notons u le vecteur correspondant.

Il existe deux entiers a et b (que nous pouvons supposer positifs)  tels que :

 u = a . i + b . j

Les coordonnées de C dans le repère (A, i, j) sont donc : (a, b).

Nous supposerons les nœuds du réseau  disposés initialement en hélice régulière simple, de divergence quelconque ; cette régularité de l’hélice sera conservée par le processus dynamique.

Les deux nombres a et b (nombres caractéristiques) correspondent alors aux  nombres de parastiques, et sont premiers entre eux.

(Il existe quelques  espèces -cardère, céphalaire- à capitules hélicoïdaux ou spiralés, chez lesquelles a et b ne sont pas premiers entre eux : leur PGCD est égal à 2 ; dans ce cas, les fleurs sont groupées par paires opposées de même cote, et les hélices ou spirales sont doubles ; cette particularité est liée à la disposition opposée-décussée des feuilles. Nous n’étudierons ici que les hélices simples, mais la généralisation aux hélices multiples est facile.)

Plaçons le point B de coordonnées (0, b) et le point D de coordonnées (a, 0).

Traçons le parallélogramme (ABCD) : c’est ce que nous appellerons le quadrilatère caractéristique.

AD = BC = a    (nombre de parastiques directes) ;

AB = DC = b    (nombre de parastiques rétrogrades).

L’intérêt de la base (i, j) est évident : il vient de sa relation avec les parastiques. De plus,  tous les  nœuds  de l’hélice ont des  coordonnées  entières  dans le  repère (A,i,j).  

Mais nous allons avoir besoin aussi d’une autre base orthonormée  (I, J), dans laquelle I est parallèle à (AC), et J à l’axe du cylindre. Cette seconde base  est en relation avec les coordonnées cylindriques, et donc avec l’entrenœud et la divergence.

Notons (x,y) les coordonnées d’un point quelconque dans le repère  (A,i,j), et (X,Y) ses coordonnées dans le repère (A,I,J).

Le couple (x, y) est défini modulo (a, b), et X est défini modulo p.

On peut alors démontrer les égalités suivantes :

La démonstration la plus simple se base sur les produits scalaires. On pourra vérifier que :

                       (a.i + b.j)2 = a2 + b2 + 2 a b cos(α)

                       I2 = J2 = 1

                       I.J = 0

Supposons que P0 = A, et cherchons le nœud P1 (second point de l’hélice régulière).

Comme a et b sont premiers entre eux, il existe un couple (c, d) d’entiers tels que :

 a d – b c = 1,       ce couple étant défini modulo (a, b).

Remplaçons x et y par c et d dans les égalités ci-dessus : nous obtenons la plus petite valeur positive possible de Y, c’est-à-dire l’ordonnée de P1, donc : e ; la valeur correspondante de X est l’abscisse de P1 ; il suffit de la diviser par p pour avoir la divergence. Calculons aussi la densité δ du réseau.

On obtient :

 

Pour visualiser quelques illustrations des quadrilatères caractéristiques, voyez l'applet 25 dans le chapitre XI.

 

b)                Réseau cylindrique à rayon croissant

Faisons maintenant croître le rayon du cylindre, sans modifier le côté des mailles. L’angle de maille α décroît de 120° à 60°. Le réseau est alors hexagonal, et une transition de maille est inévitable. Il y a, à priori, deux possibilités, auxquelles sont associés deux quadrilatères caractéristiques .

On peut d’abord remarquer que les deux quadrilatères caractéristiques potentiels, (AB1CD1) et (AB2CD2), correspondent aux combinaisons (a+b, b) et (a, a+b). Ceci peut se démontrer facilement : on peut utiliser les triangles équilatéraux (ADD2), (BCB2)  (côté : a) et (ABB1), (CDD1)  (côté : b).

On peut s’en apercevoir d’une autre façon : étant donné un parallélogramme (ABCD) partagé en a x b mailles (a et b entiers quelconques), traçons des droites parallèles entre elles, partageant les mailles en diagonale : on obtient  a+b-1 droites ; s’il s’agit de parastiques, il faut comptabiliser aussi celle qui passe par P0 (c’est-à-dire A, ou C). L’intérêt de ce raisonnement, c’est qu’il peut s’étendre à un quadrilatère quelconque, même curviligne :

on obtiendra toujours  a+b  parastiques diagonales, droites ou non .

Cette propriété fondamentale, extrêmement facile à démontrer, n’est pas liée à la métrique des réseaux : la forme et la dimension des mailles sont secondaires, c’est la structure du réseau (contacts, ou “ liaisons ”) qui compte.

Pour bien comprendre ce point central, nous vous proposons de regarder une illustration de l'actualisation des parastiques (applet 4, dans le chapitre XI), puis une applet interactive permettant d'étudier tranquillement les changements de maille dans une hélice fibonacique à entrenoeud variable (applet 5).

Deuxième remarque, capitale : il y a entre ces deux quadrilatères postulants une différence essentielle. On peut la voir de plusieurs façons :

Ø                            Dans le quadrilatère (AB1CD1), il y a un jeu de  a+b parastiques directes et un jeu de  b parastiques rétrogrades ; dans (AB2CD2), les deux jeux sont  directs ;

Ø                            Supposons le point A fixé, et déplaçons C vers la droite : B1 décrit un arc de cercle de centre A, vers la droite. Il descend, ainsi que tous les autres nœuds situés au-dessus de (AC) ; donc l’entrenœud décroît.

Ø                            Supposons maintenant le point C fixé, et déplaçons A vers la gauche : B2 décrit un arc de cercle de centre C, vers la gauche. Il monte, ainsi que tous les autres nœuds situés au-dessus de (AC) ; donc l’entrenœud croît.

Le problème majeur posé par le quadrilatère (AB2CD2) est celui de la croissance de l’entrenœud. On peut d’ailleurs le retrouver par le calcul, en étudiant la fonction e(α), dans laquelle a, b, c, d sont fixés.

On calcule la dérivée de cette fonction pour α = 120° ; on trouve :

Ø                       Si l’un des deux nombres a et b est supérieur au double de l’autre, on a soit  2 a - b < 0, soit 2 b - a < 0, donc e’(120°) < 0. Comme α décroît, e croît.

Ø                       Si chacun des deux nombres a et b est inférieur au double de l’autre, on a : e’(120°) > 0.  Comme α décroît, e décroît.

Pour avoir une décroissance continue de l’entrenœud, il faudra choisir, à chaque transition de maille, la seule combinaison pour laquelle le plus grand des deux nombres caractéristiques est inférieur au double de l’autre .On peut donc prévoir la combinaison qui va succéder à  (a, b) :

Ø     Si a > b, c’est la combinaison (a, a+b) qui sera choisie ;

     la combinaison (a+b, b) sera éliminée, car : a+b > 2 b.

Ø     Si a <  b, c’est la combinaison (a+b, b) qui sera choisie ;

     la combinaison  (a, a+b) sera éliminée, car : a+b > 2 a.

Si, à une étape quelconque, le premier nombre caractéristique est supérieur au second, à l’étape suivante ce sera l’inverse, et réciproquement.

D’où la conclusion suivante :

la décroissance de l’entrenœud impose l’alternance stricte .

Or l’alternance stricte conduit nécessairement à la suite de Fibonacci, à condition que la structure d’origine soit elle-même une structure de Fibonacci. Mais des structures élémentaires de type (1,0)  (nœuds alignés selon une génératrice du cylindre) ou (1,1)  (disposition alterne-distique) sont déjà des structures de Fibonacci.

c)                   Entrenœud et divergence : représentation graphique

Les nombres a et b étant fixés (donc aussi c et d), les formules donnant e et div en fonction de  α  permettent de construire un arc de courbe paramétrée, le paramètre étant α .

Le début et la fin de cet arc sont les points suivants :

On peut vérifier que : D(a+b, b) = D(a, a+b) = F(a, b),

ce qui signifie qu’au point où finit l’arc (a, b),  commencent  deux nouveaux arcs  : (a+b, b) et (a, a+b).

 Remarque pratique :

·                                        Si on remplace a par a+b, on doit remplacer aussi c par c+d;

·                                        Si on remplace b par a+b, on doit remplacer aussi d par c+d.

On construit ainsi une arborescence, dont le tronc correspond à la combinaison (1,1). Partons de cette combinaison, et suivons les parcours pour lesquels l’entrenœud est décroissant : nous obtenons les deux branches de Fibonacci.

Ces branches conduisent à deux valeurs limites de la divergence :

 Il s’agit, au sens de rotation près, de la même divergence : la section d’or.

Sur notre figure, nous avons représenté en rouge les deux parcours pour lesquels e est toujours décroissant, c’est-à-dire les branches de Fibonacci.

Si on part de la disposition alterne-distique (combinaison (1, 1), branche verticale du diagramme), on peut passer indifféremment à la combinaison (2, 1) ou à la combinaison (1, 2) : ce choix détermine le sens de rotation de l’hélice. Dans la nature, les deux sens semblent équiprobables.

d)    Densité et périmètre

On peut construire de la même façon plusieurs autres courbes .

 Nous avons choisi de représenter ici la densité δ en fonction du périmètre p.

On sait que δ varie entre 1 (pour le réseau carré) et 2/√3 (pour le réseau hexagonal).

Quand la densité atteint son maximum, les contraintes géométriques l’obligent à redescendre. Théoriquement, deux parcours sont permis : celui qui est choisi (en rouge sur le schéma) est toujours celui pour lequel la densité décroît le plus lentement possible.

Considérons l’arc (a,b) de notre courbe ; l’arc suivant sera soit (a+b,b), soit   (a,a+b).

Dans  chaque  hypothèse,   calculons la pente du  nouvel arc  à son  origine (α=120°).

 On obtient :

- dans le premier cas :

- dans le second cas :

Si  a < b, il faut choisir la première combinaison pour avoir la plus faible décroissance de δ ; si  a > b, c’est l’inverse. Nous retrouvons l’alternance stricte.

e)     Principe de densité maximale

L’évolution d’un réseau régulier à longueur de maille constante, sur un cylindre de rayon croissant, est rigoureusement déterminée par les contraintes géométriques, sauf au moment des transitions de maille, où un choix se présente. Si ce choix s’effectue selon le principe de densité maximale (ou de tassement maximal), un réseau de Fibonacci  quelconque évolue vers la section d’or.

Les conditions initiales sont très importantes : un réseau régulier de type (1,1)  (alterne-distique), (1,0) , (1,2) ou (3,2) par exemple, évolue vers la section d’or,  en passant, par paliers, d’une structure de Fibonacci (a, b) à la suivante ; mais si on part  d’un réseau de type (2,2)  (opposé-décussé), on obtient des structures de type (2 a, 2 b), avec des nombres caractéristiques pairs (comme c’est le cas chez Dipsacus sylvestris par exemple). Le PGCD des deux nombres caractéristiques est conservé à chaque étape. 

Ces constatations suggèrent quelques idées, qui s’imposent d’elles-mêmes.

En termes de physique : on pourrait imaginer une force attractive entre les nœuds du réseau,  toute augmentation de l’aire entraînant  une augmentation de l’énergie potentielle. Le principe de densité maximale se traduirait alors ainsi : l’évolution du réseau suit, à chaque instant, le chemin qui minimise l’énergie potentielle.

En termes de biologie : c’est la croissance qui joue le rôle de moteur ; dans notre modèle, la surface de l’apex se contente de s’adapter passivement. Il suffit d’une tension superficielle (ou d’une élasticité du tissu) pour obliger le réseau cellulaire  à se réorganiser continuellement selon le principe de densité maximale, et donc à suivre la branche de Fibonacci.

Au point où nous nous trouvons dans notre travail, nous constatons que nous avons retrouvé le résultat essentiel obtenu par Irving Adler en 1977, résultat connu (pas assez !) sous le nom de “Théorème fondamental de la phyllotaxie”. Cet auteur se basait sur la notion de pression de contact (notion qui se rapproche beaucoup de celles que nous avons évoquées ci-dessus), et il  travaillait aussi sur les réseaux cylindriques. Ses idées ont été reprises par Roger V. Jean (Université du Québec) dans son livre : Croissance végétale et morphogénèse.

De plus, d’autres travaux, partant de bases différentes, semblent conduire à des résultats convergents : principalement celui de Pau Atela, Christophe Golé et Scott Hotton, et peut-être aussi ceux de Kuntz et Levitov.

Mais, l’apex n’étant pas cylindrique, le modèle que nous venons d’exposer ne peut pas nous satisfaire : nous étudierons plus loin (cf. VIII) le développement d’un réseau plan à croissance centrale.