IX) Théorie des liaisons
a) L’équivalence algorithmique Cette équivalence algorithmique entre plusieurs modèles métriquement différents suggère une approche que nous croyons nouvelle : au lieu de partir d’une structure géométrique rigoureusement définie (les disques de van Iterson) et d’en déduire la succession des contacts, nous pouvons très bien inverser la cause et l’effet, et reconstruire les structures de Fibonacci de manière algorithmique, à partir de la succession des contacts, en faisant abstraction de la forme et de la dimension des mailles. C’est ce que nous appelons l’algorithme des liaisons. b) Les liaisons Reprenons le maillage de Fibonacci à la surface d’un cylindre de rayon croissant. Observons la succession des contacts d’une « cellule » quelconque, de rang k : Elle rencontre d’abord les cellules k-1 et k+1 . Puis elle rencontre k-2 et k+2 . Puis elle rencontre k-3 et k+3 , et abandonne k-1 et k+1 . Puis elle rencontre k-5 et k+5 , et abandonne k-2 et k+2 . Puis elle rencontre k-8 et k+8 , et abandonne k-3 et k+3 . Puis elle rencontre k-13 et k+13 , et abandonne k-5 et k+5 . Puis elle rencontre k-21 et k+21 , et abandonne k-8 et k+8 . Puis elle rencontre k-34 et k+34 , et abandonne k-13 et k+13 . Etc. Pour simplifier, nous ne prendrons en compte que les termes contenant le signe + : nous pouvons dire qu’à chaque instant (sauf au moment des transitions de maille) chaque cellule est en contact avec deux cellules plus jeunes qu’elle, que nous appellerons ses « points d’appui ». Dans le cas du maillage plan spiralé, les deux points d’appui de chaque cellule sont situés plus près du centre qu’elle (nous dirons : « plus bas »). L’un de ces points d’appui est situé plus bas que l’autre : nous l’appelons « point d’appui principal » ; l’autre est le « point d’appui secondaire ». Le point d’appui principal est une cellule plus jeune que le point d’appui secondaire ; il correspond au contact le plus récemment établi. A chaque transition de maille, un troisième contact s’établit entre les deux précédents, avec une nouvelle cellule située encore plus bas que les précédentes (donc plus jeune). Celle-ci est aussitôt adoptée comme nouveau point d’appui principal ; l’ancien point d’appui principal est rétrogradé au rang de point d’appui secondaire, et l’ancien point d’appui secondaire est abandonné. Ici encore, la situation peut suggérer plusieurs lectures. En termes de mécanique : chaque cellule est poussée vers l’extérieur par les cellules plus jeunes qui apparaissent régulièrement au centre ; au cours de ce mouvement, sa stabilité est assurée par deux points d’appui. Si ceux-ci tendent à s’écarter un peu trop, un nouveau point d’appui intervient, et un rééquilibrage se fait selon la configuration la plus stable, c’est-à-dire le plus bas possible. En termes de biochimie : on peut faire intervenir la notion de liaisons d’intensité variable, en supposant que les contacts ne sont pas tous équivalents, mais hiérarchisés, les plus anciens correspondant à des liaisons faibles, les plus récents à des liaisons fortes. Quand une nouvelle liaison s’établit, elle est d’emblée forte, et les autres sont automatiquement rétrogradées. De plus, quand les contraintes géométriques obligent une cellule à abandonner soit une liaison forte, soit une liaison faible, c’est toujours la seconde solution qui est choisie. Comment un tel mécanisme peut-il conduire à la suite de Fibonacci ? Expliquons-le en termes de vecteurs, en nous plaçant dans le cas du maillage cylindrique régulier : à la phase n, le réseau est construit sur deux vecteurs de base (i n , i n+1 ). Les liaisons selon i n sont faibles, tandis que les liaisons selon i n+1 sont fortes . A la phase n+1, de nouvelles liaisons fortes s’établissent selon le vecteur diagonal i n+2 ; les autres liaisons sont rétrogradées : selon i n+1 , elles deviennent faibles ; selon i n , elles disparaissent. D’après la règle du parallélogramme, on a : i n+2 = i n+1+ i n ; nous reconnaissons la relation de récurrence fondamentale qui va conduire à la suite de Fibonacci. Pour visualiser le fonctionnement de cet algorithme dans le cas du maillage plan à croissance centrale, on peut raisonner par « vagues » : Ø Première vague : Plaçons, une par une, les cellules P0, P1, P2, P3, P4, P5, etc. ; à partir de P3, chacune doit se situer dans le triangle formé par les trois précédentes ; les liaisons sont établies et réactualisées selon les règles ci-dessus. On voit apparaître les liaisons faibles suivantes : P0 - P2 - P4 - P6 - P8 - P10 - P12 - P14… P1 - P3 - P5 - P7 - P9 - P11 - P13 - P15… Ce sont les deux parastiques d’ordre deux. On voit également apparaître les liaisons fortes suivantes : P0 - P3 - P6 - P9 - P12 - P15 - P18 - P21… P1 - P4 - P7 - P10 - P13 - P16 - P19 - P22… P2 - P5 - P8 - P11 - P14 - P17 - P20 - P23… Ce sont les trois parastiques d’ordre trois. Le réseau est dans la phase (3, 2). C’est un réseau de Fibonacci, et le processus est enclenché. Ø Deuxième vague : Reprenons les mailles, de l’extérieur vers l’intérieur, en commençant par P0 : P0 établit une liaison forte avec P5 , selon la diagonale de sa maille ; sa liaison avec P3 devient faible, et sa liaison avec P2 disparaît. De même, P1 établit une liaison forte avec P6 ; sa liaison avec P4 devient faible, et sa liaison avec P3 disparaît. Et ainsi de suite. On s’aperçoit alors que : · les parastiques d’ordre deux ont disparu ; · les parastiques d’ordre trois sont devenues faibles ; · les parastiques d’ordre cinq sont apparues, matérialisées par des liaisons fortes. Le réseau est passé en phase (3, 5). Ø La troisième vague va faire passer le réseau en phase (8, 5), la quatrième en phase (8, 13), etc. |
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Notons qu’il n’est pas nécessaire d’attendre que la deuxième vague soit achevée pour lancer la troisième : dans le modèle du tournesol, les vagues travaillent simultanément, avec des décalages qui dépendent de la métrique du réseau, qui n’est pas prise en compte dans notre algorithme. Pour compléter ces images et montrer plus clairement comment elles s'enchaînent, nous proposons une applet de type diaporama : c'est l'applet 23 (algorithme des liaisons). Vous pourrez voir aussi une autre version illustrant les mêmes idées ; il s'agit de l'applet 24 : croissance spiralée schématisée.
Si nous voulons passer à une version métrique, nous introduisons des contraintes spatio-temporelles (dimension des cellules, loi de croissance). Cette loi de croissance ne peut pas être choisie arbitrairement : elle doit être compatible avec l'algorithme des liaisons. Pour cela, elle doit remplir des conditions qui ne sont pas encore complètement éclaircies. Par exemple, une croissance linéaire (r(t) = kt), avec ou sans amortissement, convient. Dans le chapitre suivant (X), le paragraphe sur la "théorie des liaisons cellulaires" est directement inspiré de ces idées ; voir en particulier la simulation numérique.
c) Souplesse du modèle Ce modèle est à la fois très rigoureux et très souple : · rigoureux, parce-que toutes les cellules doivent se comporter de manière identique ; · souple, parce-que la loi de croissance joue un rôle négligeable, à condition de rester dans des limites raisonnables. De plus, il n’est pas nécessaire de choisir, comme nous l’avons fait ici, un modèle avec des liaisons orientées et quantifiées : on peut étudier des versions à liaisons non orientées, ou à variations continues. L’intensité des liaisons doit être décroissante, selon une courbe quelconque, ou éventuellement croissante pendant un bref laps de temps, puis rapidement décroissante. L’important est que, au moment de la transition de maille, chaque nœud reconnaisse sa liaison la plus récente, celle qui va être conservée. C’est ce que nous appelons le principe des liaisons d’intensité décroissante : Soit un réseau de Fibonacci sur un cylindre de rayon croissant, ou bien un réseau plan à croissance centrale. Si chaque nœud, lorsqu’il est obligé d’abandonner une liaison, sacrifie systématiquement la plus ancienne, et conserve la plus récente, alors ce réseau évolue selon la branche de Fibonacci. (Pour que cette règle soit valable, la loi de croissance doit rester dans des limites "raisonnables", qui restent à préciser.) Dans le cas des tissus végétaux, ceci suggère un rôle des molécules adhésives qui lient les cellules entre elles. Ces protéines, mises en évidence par l’étude des greffes ou de la pollinisation, sont aujourd' hui en cours d' étude.
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