VIII)  Des hélices aux spirales

 

Alors que les réseaux cylindriques ont été bien étudiés, d'abord par van Iterson, puis par Erickson et R.V. Jean par exemple, les réseaux plans spiralés ont été trop délaissés : nous pénétrons ici dans un domaine peu connu.

 

a)           Réseau plan à croissance centrale

Nous considérons maintenant un réseau plan (et non plus cylindrique), dont la croissance se fait en un point (le centre O). Cette croissance repousse les mailles vers la périphérie, les obligeant à se réorganiser.

Pour commencer, on pourra manipuler des réseaux circulaires réguliers quelconques, non nécessairement fibonaciques : voir notre applet interactive 10 (manipulation des spirales régulières).

Du point de vue mathématique, les choses vont être un peu moins simples que dans le réseau cylindrique : c’est ce qui justifie l’ordre que nous avons choisi dans cet exposé. Mais il y a lieu de penser que dans le bourgeon, c’est l’ordre inverse qui est suivi : le développement des structures phyllotaxiques commence à l’apex, qui est plan, avant de gagner l’ensemble du bourgeon ; il y a vraisemblablement un passage continu des spirales aux  hélices .

Soit une couronne de centre O, de rayon r, de largeur dr. Par suite de la migration centrifuge, r croît, dr décroît, et les mailles contenues dans la couronne subissent une compression dans la direction radiale, compensée par un étirement dans la direction perpendiculaire. L’angle de maille décroît.

Attention : nous avons posé en postulat la décroissance de dr, qui semble être une évidence ; mais c’est une hypothèse équivalente à la décroissance de l’entrenœud dans le modèle cylindrique. C’est ce choix qui va entraîner l’alternance stricte, et qui va guider l’évolution du réseau sur la voie de Fibonacci. Ce n’est pas un choix arbitraire : il est justifié par le principe de densité maximale.

Imaginons que la portion de maillage contenue dans cette couronne soit de type   (a, b), c’est-à-dire formée par l’intersection de  a  spirales directes et  b  spirales rétrogrades.

Lorsque l’angle de maille va atteindre 60°, de nouveaux contacts vont s’établir selon la diagonale radiale des mailles, permettant l’actualisation d’un nouveau jeu de parastiques. On peut prouver que ce nouveau jeu comprend nécessairement  a+b  parastiques ; de plus, elles sont directes si  a < b, et rétrogrades si  a > b, ce qui conduit à l’alternance stricte : les explications données pour le réseau cylindrique avec le parallélogramme caractéristique, s’adaptent parfaitement à la situation présente, avec des quadrilatères curvilignes. La forme des mailles peut s’éloigner sensiblement du losange parfait, à condition que les rôles des deux diagonales soient respectés : la diagonale dite radiale étant toujours de longueur décroissante, et l’autre de longueur croissante.

Par conséquent, si nous partons d’une combinaison (a, b) de Fibonacci, la compression des mailles selon la direction radiale va faire passer le réseau dans une autre combinaison de Fibonacci, et, de seuil en seuil, la divergence va tendre vers la section d’or.

(Pour observer les quadrilatères caractéristiques curvilignes ainsi obtenus, visionnez l'applet 26.)

Supposons par exemple que la couronne soit en phase (3, 5) : elle va passer en phase (8, 5) pour une valeur précise de r ; ensuite en phase (8, 13), etc.

On pourra donc voir simultanément des portions de maillage en phase (3,5), (8, 5), (8, 13), etc., réparties en couronnes concentriques. Les seuils sont ceux qui ont été calculés dans le cas du cylindre, mais ici c’est r (distance au centre) qui joue le rôle du rayon du cylindre. La phase atteinte à la périphérie dépend uniquement de la distance au centre (le côté de la maille étant pris comme unité).

Pour que le processus s’enclenche, il faut que le maillage démarre avec une combinaison de Fibonacci : il peut s’agir de la combinaison (1, 1), ou bien   (1, 2), mais dans un maillage plan à croissance centrale, il semble plus naturel de partir de la disposition (3, 2) . (Celle-ci apparaît naturellement dans le modèle des disques tangents à croissance exponentielle, étudié dans les compléments ; voir aussi l’algorithme des liaisons.)

b)                       Mise en équations

Etudions d’abord un  modèle de réseau plan à croissance centrale, avec des mailles à côté constant, obtenu en adaptant le modèle cylindrique, grâce à une intégration par tranches (les paramètres changeant à chaque seuil). C’est ce que nous appelons le modèle rigide.

Cherchons l’équation de la spirale génératrice, sous forme paramétrée. Notons s le paramètre. L’écart entre deux nœuds successifs correspond à : Δ s = 1.

Dans le modèle cylindrique, l’hélice génératrice est définie par :

z (s) = s .e   et  φ(s) = s .div, où e et div varient seulement en fonction du temps. Dans le modèle plan à croissance centrale, e et div varient en fonction de s. De plus le rôle de la cote z est joué ici par la distance au centre r. Enfin, nous abordons le problème de manière différentielle, en raisonnant sur des variations infinitésimales : ds, dr, dφ.

Nous avons donc : dr = ds.e  et  dφ = ds.div.

Plaçons-nous dans la couronne   (F(n), F(n+1)).

Ceci suppose : s n < s < s n+1 , où s n et s n+1 sont deux seuils (à calculer). Reprenons les formules établies dans le modèle cylindrique. Elles deviennent :

(Pour la divergence, nous avons choisi la formule de la branche de droite, ce qui revient à fixer le sens de  rotation.)

α désigne toujours l’angle de maille, et p le périmètre :     p = 2 π r.

On a toujours :       p 2 = F(n+1) 2 + F(n) 2  +2.F(n+1).F(n).Cos(α) ,

ce qui entraîne :

   d(p 2) = 2.F(n+1).F(n).d(Cos(α)) = -2 F(n+1).F(n) Sin (α).d α   .

D’autre part :

Dans la couronne  (F(n),  F(n+1)),   s  et  α    varient   proportionnellement, le premier de  s n à s n+1, le second de 2π/3 à π/3.

Donc, pour s n < s < s n+1, on a :

Pour s = s n+1, on a α = π/3, d’où : s n+1 - s n = F(n+1).F(n) / 6, ce qui permet de calculer les seuils (définis à une constante près) :

Le calcul de r (s) se fait facilement, grâce à l’égalité :

(Attention : n change à chaque seuil.)

Pour s = s n, on a : r = r n , où :

Le calcul de φ (s) nécessite une intégration. Pour   s n < s < s n+1, on a :

ce qui entraîne :

On peut commencer par calculer  les seuils φ n par récurrence : pour calculer φ n+1, on remplace s par s n+1 (donc s-s n par F(n+1).F(n)/6 ) dans la formule ci-dessus. On obtient :

Représentons des disques de diamètre égal à 1, dont les centres ont pour coordonnées circulaires :    r (s)  et   φ (s) , avec s entier.

Nous obtenons la figure suivante :

Pour réaliser une animation montrant la croissance de cette structure spiralée, on remplace s par s+t, puis on fait croître t. On déplace ainsi les nœuds du réseau le long de la spirale génératrice, ce qui a deux effets : l’un (souhaité) est la migration centrifuge des nœuds, l’autre (indésirable) est un mouvement de rotation de l’ensemble du réseau. On annule cette rotation par une rotation opposée : pour cela, il suffit de remplacer  φ  par :   φ – 2 π t Φ 2.

Les calculs ont été présentés ici de manière très abrégée, peut-être difficile à suivre. Si vous désirez accéder aux calculs complets (document PDF de 11 pages), cliquez ici.

Pour voir la version animée de la figure ci-dessus, sous forme d'applet java, visionnez l'applet 12 : maillage circulaire, modèle rigide.

Pour étudier plus à loisir les contacts entre cellules grâce à leur numérotation, visionnez l'applet 17 : maillage circulaire interactif.

En étudiant ce modèle (que nous appelons "modèle rigide"), nous avons constaté qu’il pouvait être sensiblement simplifié, sans nuire outre mesure à sa qualité : on obtient alors le "modèle simplifié", qui  est très facile à programmer. (Ce modèle a déjà été utilisé par  R. Knott.)

Dans le modèle simplifié, les nœuds naissent au centre à intervalles réguliers, et s’en éloignent en ligne droite. Les trajectoires de deux nœuds successifs forment un angle égal à la section d’or. La distance d’un nœud quelconque par rapport au centre à un instant donné est proportionnelle à la racine carrée du temps écoulé depuis sa naissance.

Pour voir une animation de ce modèle simplifié, sous forme d'applet java, visionnez l'applet 13 : maillage circulaire, modèle simplifié.

Si vous désirez accéder aux calculs complets (document PDF), cliquez ici.

Dans le modèle rigide, les trajectoires sont légèrement sinueuses, et la vitesse radiale fluctue autour d’une valeur moyenne, qui est celle du modèle simplifié. Par rapport à ce dernier, le modèle rigide apporte des corrections qui peuvent être nécessaires si on étudie le déplacement d’objets rigides, comme des billes par exemple. Mais dans le domaine de la botanique, l’utilité de  ces corrections est moins évidente .

Le modèle rigide est le plus important sur le plan théorique, car il met en lumière plusieurs points essentiels :

Ø              ce modèle respecte de manière remarquable le principe de la première place disponible ; mais ce principe n’est pas la clé des structures de Fibonacci : c’est le travail des mailles qui conduit le réseau, par étapes, vers la section d’or ;

Ø                 dans le calcul, la trajectoire rectiligne des nœuds n’est pas une donnée à priori, mais une approximation ;

Ø                  le mouvement tournant du point actif de l’apex, qui fait partir chaque nœud dans une direction imposée, n’est pas non plus posé à priori : il apparaît dans le calcul lorsqu’on décide de stabiliser la périphérie, de manière à avoir un capitule globalement immobile ; on peut dire, de manière imagée, que c’est la périphérie qui fait tourner le centre ;

Ø                  les parastiques ne sont pas des spirales logarithmiques : c’est une idée reçue, trop souvent répétée sans contrôle ! Il s'agit en fait de spirales de Fermat (ou plus généralement de spirales paraboliques). Voir le complément sur ce sujet.

Ø                   chaque nœud se trouve à l’intersection de deux parastiques d’orientation opposée ; lorsque le nœud migre vers la périphérie, ces deux parastiques tournent en sens inverse. Si les parastiques d’ordre 3, par exemple, tournent dans le sens direct, alors les parastiques d’ordre 5 tournent en sens rétrograde, les parastiques d’ordre 8 en sens direct, etc. La vitesse angulaire est alternée et tend rapidement vers 0.

Nous avons ensuite étudié des "modèles évolutifs", en introduisant une loi de croissance des mailles (ou des "cellules", terme dont l'interprétation, biologique ou physique, reste à discuter). Dans les modèles précédents, rigide ou simplifié, nous faisions croître le nombre de cellules, mais pas leur dimension ; ici, la croissance individuelle se combine à la croissance du groupe.

Pour voir une applet illustrant ce modèle évolutif, vous pouvez visionner l'applet 4.

 

Dans ce tournesol schématisé, les fleurs sont numérotées de la périphérie vers le centre.
Repérons la spire (1, 22, 43, 64, 85, 106, 127, …) : la différence entre deux nombres successifs est 21 ; il s’agit donc d’une spire d’ordre 21, appartenant à un jeu de 21 spires.
Dans l’autre sens, repérons la spire (1, 35, 69, 103, 137, …) : la différence entre deux termes successifs est 34 ; il s’agit  d’une spire d’ordre 34, appartenant à un jeu de 34 spires.
Notre tournesol est donc (au moins dans sa partie périphérique) en phase : (21,34).

La comparaison de ces modèles permet de constater une chose très importante : c’est leur équivalence algorithmique. Nous voulons dire par là que les contacts entre éléments (nœuds du réseau, fleurs du tournesol) se font et se défont selon les mêmes séquences.